C.G Jung VS les mathématiques

Dans cet extrait du livre « Ma vie » de Carl Gustav Jung, nous voyons ce cher professeur Jung, nous décrire ses péripéties au milieu de l’algèbre. C’est pour nous l’occasion, de nous remémorer que chaque individu est capable d’avoir ses propres systèmes d’élaboration, n’empêchant et ne limitant absolument pas notre savoir-être ni notre savoir-faire, mais bien au contraire, nous permet de développer ou de créer d’autre système faisant appel à notre potentiel, parfois unique.

« Le collège m’assommait. Il prenait trop sur le temps que j’aurais préféré consacrer à dessiner des batailles et à jouer avec le feu. L’enseignement religieux était inexprimablement ennuyeux et j’étais positivement angoissé par les leçons de mathématiques. Á en croire le maître, l’algèbre allait de soi, alors que je ne savais pas encore ce que les nombres signifiaient en eux-mêmes : ils n’étaient ni des fleurs, ni des animaux, ni des fossiles, rien que l’on pût se représenter, mais seulement des quantités que l’on créait en les comptant. Á ma grande confusion, les quantités étaient remplacées par des lettres – qui sont des sons ! – de sorte que l’on pouvait, pour ainsi dire, les entendre. Il était surprenant que mes camarades puissent s’y reconnaître si aisément ! Personne ne pouvait me dire ce qu’étaient les nombres et je ne pouvais pas formuler la question. Á ma grande stupéfaction, je découvris que personne non plus ne comprenait mes difficultés.

Certes, le maître, je dois le reconnaître, prenait toute la peine nécessaire pour m’expliquer le but de cette étrange opération qui consiste à transposer en sons des quantités compréhensibles. Je finis par comprendre que l’on cherchait, par l’emploi d’un système d’abréviations, un moyen de représenter de nombreuses quantités à l’aide d’une formule abrégée.

Cela ne m’intéressait absolument pas. Je pensais qu’il était tout à fait arbitraire de représenter les nombres par des sons ; on aurait pu tout aussi bien faire de a un abricotier, de b, un bananier, de x un point d’interrogation, a, b, c, x et y ne figuraient rien et ne m’expliquaientquoi que ce fût de l’essence du nombre, pas plus que l’abricotier ! Ce qui me révoltait le plus, c’était le principe « si a = b, et si b = c, alors a = c » puisque par définition il était établi que a était différent de b et que par conséquent, étant différent, il ne pouvait être l’égal de b, et en-core bien moins celui de c. Quand il s’agit d’une égalité on dit a = a, b= b, etc…, alors que a = b me semblait, avec évidence, être une tromperie ou un mensonge. J’éprouvais la même irritation lorsque le maître, reniant sa propre définition des parallèles, affirmait qu’elles se rencontraient à l’infini. Cela me semblait un attrape-nigaud que je ne pouvais ni ne voulais accepter.

Ma rectitude intellectuelle se cabrait contre ces jeux inconséquents qui me barraient l’accès à la compréhension des mathématiques. Jusqu’à un âge avancé, j’ai gardé le sentiment ineffaçable que si, jadis, j’avais pu admettre, comme mes camarades, sans être heurté, que a pouvait être égal à b ou que soleil = lune, que chien= chat, etc…, les mathématiques m’auraient perpétuellement « bourré le crâne ». Dans quelle mesure ? Il m’a fallu attendre ma quatre-vingt-troisième année pour m’en faire une idée. Pendant toute ma vie ce fut pour moi une énigme de n’avoir pu réussir à trouver en moi un point de contact avec les mathématiques alors que je ne doutais pas que l’on pût calculer valablement. Ce qui m’était le plus incompréhensible, c’était mon doute moral à l’encontre des mathématiques. »

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