Symbolisme

Descente

Dans l’illustration de Blake, la mort est dépeinte comme un monde souterrain dans lequel l’esprit des défunts descend avant que l’Espoir n’illumine la possibilité d’une demeure éternelle. Selon les mythes, les royaumes des profondeurs sont décrits comme le séjour d’ombres désincarnées soumises à des divinités chthoniennes, comme des enfers où brûle l’âme des damnés ou comme des réserves de trésors cachés dans les entrailles de la terre, avec leurs sols fertiles, leurs sources cristallines, leurs gemmes et leurs métaux précieux.

La descente est un mouvement vers le bas : des sphères supérieures vers les strates inférieures, du ciel vers la terre, du monde d’en haut vers les profondeurs souterraines ou aquatiques. Notre poids nous entraîne naturellement vers le bas sous l’effet de la gravité. Ce mouvement nous rapproche de la réalité concrète, du fardeau des responsabilités, de la sensualité, du plaisir et de la douleur, du feu du volcan et de la fraîcheur de l’eau. La descente vers les régions « inférieures » et infernales de la psyché constitue un aspect essentiel du processus initiatique dans la plupart des cultes secrets et des voyages épiques.

Représentées dans la mythologie par des actes créateurs ou des divinités revêtant une forme terrestre, les énergies archétypales de la psyché s’incarnent dans des avatars symboliques et des formes de vie consciente. La descente provoque la solidification, la matérialisation. Elle permet d’incarner les choses de l’esprit, de donner corps aux pensées volatiles. Les rêves, les idées, les réalités potentielles et les images intuitives se concrétisent, au risque de se décomposer et de disparaître. L’idée de « redescendre sur terre » et de “garder les pieds sur terre” inspire à la fois le soulagement et la déception. La descente peut être synonyme de chute, de déflation, d’effondrement, d’implosion, de désenchantement et de désillusion. La descente est le pendant de l’ascension dans les cycles naturels que traduisent « les hauts et les bas » de notre état psychique. 

La mort et la corruption conduisent au renouveau, les particules se dissolvent et se regroupent, l’alchimie pratique la médecine, “spagyrique” qui consiste à séparer et à recombiner les éléments, la conscience s’élargit et s’incarne par l’expérience. Ces rythmes sous-tendent les grandes religions à mystère et les rites initiatique qui tente de séparer le monde d’en haut de celui d’en bas ou de les équilibrer et de les réunir. En Mésopotamie, la déesse Inanna descend volontairement vers le royaume des morts gouverné par sa sœur Ereshkigal, afin d’en assimiler les mystères et de revenir parmi les vivants. Dans la mythologie grecque, Perséphone est enlevée par Hadès, le dieu des Enfers, puis retrouvée par sa mère Déméter, la déesse des moissons, et finalement condamnée à aller et venir entre les deux mondes jusqu’à la fin des temps. Jésus connaît le martyre et la descente aux enfers avant de s’élever vers la vie éternelle. Selon les alchimistes, le sauveur s’élève de la matière vers l’esprit, réconcilie les contraires et redescend sur terre sous forme d’élixir de longue vie. Dans un mythe des Indiens cheyennes, une foulque nage jusqu’au fond du lac originel et en ressort avec une boule d’argile qui donne naissance à la terre. 


Si dans ces mythes, la descente est suivie d’une remontée à la surface, ce n’est pas toujours le cas. Certains se perdent ou s’embourbent dans les profondeurs de la psyché, condamnés à un déclin ou à une régression irrémédiable. Le symbole de la descente est alors une vision dévalorisante de notre perception de ce qui n’est pas conscient et qu’on désigne comme le « subconscient”. Les mythes et les rituels ancestraux attestent néanmoins du pouvoir transformateur de la descente. C’est le retour vers une matrice transpersonnelle en vue de la renaissance, la découverte d’une précieuse connaissance de soi dans le tréfonds de lumineuse ténèbres, le don de la compréhension qui fait “remonter” vers la conscience collective les vérités les plus profondes.

La descente, telle que représentée dans l’œuvre évocatrice de William Blake, transcende le simple mouvement physique vers le bas. Elle devient une métaphore puissante pour le voyage intérieur, explorant les recoins les plus sombres de la psyché humaine. Blake, en maître symboliste, transcende la représentation littérale pour plonger dans les profondeurs de l’inconscient collectif.

L’image de la descente est fréquemment associée à la symbolique jungienne, où le voyage vers les régions inférieures de l’âme représente un processus d’individuation, une quête d’intégration des aspects inconscients de soi. L’ombre, cette partie obscure et souvent négligée de la psyché, devient ainsi le territoire exploré dans la descente, où les forces instinctuelles et les éléments refoulés attendent d’être reconnus et intégrés. L’association entre la descente et le concept d' »ombre » évoque la dualité inhérente à cette exploration. La descente peut être à la fois source de révélation et de perte, de compréhension profonde et de désillusion. C’est un passage à travers les ténèbres, à la recherche d’une lumière intérieure qui illumine les vérités les plus profondes.

La descente de l’homme dans la vallée de la mort par William Blake / The Descent of Man into the Vale of Death

Laisser un commentaire