Les failles de la collaboration đŸ’”đŸ€

Les failles de la collaboration đŸ’”đŸ€  Jung et Freud face aux difficultĂ©s de l’analyse des rĂȘves.

Bienvenue, chers explorateurs et exploratrices de la psyché, dans ce podcast.

RĂ©cemment, j’ai Ă©tĂ© sollicitĂ© par plusieurs messages exprimant votre intĂ©rĂȘt pour explorer la rupture entre Jung et Freud. Mais pour moi, il est essentiel d’aller au-delĂ  de l’histoire et de la relation entre ces deux figures emblĂ©matiques, Ă  moins ! que cela ne nous offre un regard nouveau et instructif. Ainsi, dans ce podcast, je vais aborder les prĂ©mices de cette sĂ©paration, en proposant une approche qui pourrait nous Ă©clairer, que ce soit en tant que thĂ©rapeute ou en tant que chercheur de vĂ©ritĂ©.

Pour ce faire, je vais m’appuyer sur un tĂ©moignage de Carl Jung, extrait de son livre, « L’homme et ses symboles ». Vous pouvez trouver les rĂ©fĂ©rences dans mon article disponible sur mon site internet, le lien est en description. Dans cet extrait, Jung partage un rĂ©cit profondĂ©ment personnel sur sa relation avec Freud, rĂ©vĂ©lant les signes annonciateurs de leur sĂ©paration tout en mettant en lumiĂšre les profondes diffĂ©rences qui ont marquĂ© leur amitiĂ©.

À travers ce rĂ©cit, Jung nous plonge dans l’intimitĂ© de son esprit, partageant un rĂȘve qui a jouĂ© un rĂŽle crucial dans sa comprĂ©hension de lui-mĂȘme et de son dĂ©veloppement psychologique. Il souligne l’importance de la mĂ©thode analytique tout en mettant en garde contre les piĂšges de l’imposition de sa propre interprĂ©tation sur celle du patient.

Au cƓur de ce tĂ©moignage, Jung met en lumiĂšre un conflit entre deux approches de l’analyse des rĂȘves, dĂ©voilant une vĂ©ritĂ© fondamentale : l’importance de comprendre l’individu dans toute sa complexitĂ© et sa singularitĂ©. Jung nous rappelle essentiellement que l’individu est la seule rĂ©alitĂ©, et que toute thĂ©orie gĂ©nĂ©rale sur la psychĂ© humaine doit dĂ©couler d’une connaissance approfondie et respectueuse des ĂȘtres humains rĂ©els, tangibles.

Extrait du livre l’homme et ses symboles de Jung page 56, 57 et 58 :

_ C’est pour cette raison que j’ai toujours dit Ă  mes Ă©lĂšves : « Apprenez le plus de choses possibles sur le symbolisme. Puis oubliez tout ce que vous avez appris lorsque vous analysez un rĂȘve ». Ce conseil est d’une telle importance pratique que je me suis imposĂ© de toujours me dire que je ne comprenais pas suffisamment le rĂȘve d’autrui pour pouvoir l’interprĂ©ter correctement. Je l’ai fait afin de contenir le flot de mes propres associations et rĂ©actions, en sorte de ne pas les substituer aux incertitudes et aux hĂ©sitations du malade. Comme il est de la plus grande importance thĂ©rapeutique pour un analyste de bien saisir le message particulier d’un rĂȘve (c’est-Ă -dire la contribution apportĂ©e par l’inconscient Ă  la conscience) il est essentiel pour lui d’en explorer le contenu avec la plus extrĂȘme minutie.

J’eus un rĂȘve, Ă  l’Ă©poque oĂč je travaillais avec Freud, qui illustre bien ce point particulier. Je rĂȘvai que j’Ă©tais « chez moi » apparemment au premier Ă©tage, dans un agrĂ©able et confortable salon meublĂ© dans le style du XVIIIe siĂšcle. Je fus Ă©tonnĂ© de n’avoir jamais vu cette piĂšce auparavant et je commençai Ă  me demander Ă  quoi ressemblait le rez-de-chaussĂ©e. Je descendis, et je dĂ©couvris que les piĂšces Ă©taient plutĂŽt sombres, aux murs recouverts de boiseries, avec des meubles massifs datant du XVIe siĂšcle oĂč mĂȘme d’une pĂ©riode antĂ©rieure. Ma surprise et ma curiositĂ© s’accrurent. Je voulais voir l’architecture totale de

la maison. Je descendis dans la cave oĂč je trouvai une porte donnant sur un escalier, qui menait Ă  une vaste piĂšce voĂ»tĂ©e. Elle Ă©tait pavĂ©e de grandes pierres, et les murs semblaient trĂšs anciens. J’examine le mortier, et je dĂ©couvris qu’il Ă©tait mĂ©langĂ© d’Ă©clats de briques. Manifestement les murs Ă©taient d’origine romaine. Ma curiositĂ© ne cessait de croĂźtre. Dans un coin, je vis un anneau de fer fixĂ© Ă  une dalle. Je la soulevai, et je vis un autre escalier trĂšs Ă©troit menant Ă  une sorte de caveau, qui ressemblait Ă  une tombe prĂ©historique, contenant deux crĂąnes, quelques os, et des fragments de poterie. Et je me rĂ©veillai.

Si Freud, lorsqu’il analysa ce rĂȘve, avait suivi ma mĂ©thode consistant Ă  explorer les associations qui s’y rapportent directement, et son contexte, il eut entendu une trĂšs longue histoire. Mais j’ai bien peur qu’il l’eĂ»t Ă©cartĂ©e en la considĂ©rant comme une simple tentative d’Ă©chapper Ă  un problĂšme qui Ă©tait en rĂ©alitĂ© le sien. Le rĂȘve Ă©tait en fait un rĂ©sumĂ© de ma vie, et plus particuliĂšrement, de l’Ă©volution de mon esprit. J’ai grandi dans une maison vieille de deux cents ans, nos meubles dataient pour la plupart d’il y a trois cents ans, et intellectuellement ma grande aventure spirituelle avait Ă©tĂ© la lecture de Kant et de Schopenhauer. Le grand Ă©vĂ©nement du jour Ă©tait l’Ɠuvre de Charles Darwin. Peu de temps auparavant, je vivais encore dans l’univers mĂ©diĂ©val de mes parents, aux yeux desquels le monde et les hommes Ă©taient rĂ©gis par l’omnipotence et la providence divines. Ce monde Ă©tait dĂ©sormais archaĂŻque et pĂ©rimĂ©. Ma foi chrĂ©tienne avait perdu son caractĂšre absolu par la dĂ©couverte des religions orientales et de la philosophie grecque. C’est pourquoi le rez-de-chaussĂ©e de ma maison Ă©tait si sombre, si silencieux et manifestement inhabitĂ©. 

L’intĂ©rĂȘt que m’inspirait alors l’Histoire, avait Ă©tĂ© Ă©veillĂ© par l’Ă©tude de l’anatomie comparĂ©e et de la palĂ©ontologie, pendant que j’Ă©tais assistant Ă  l’Institut d’Anatomie. J’Ă©tais fascinĂ© par les ossements de l’homme fossile, particuliĂšrement par l’homme de NĂ©anderthal, autour duquel on discutait beaucoup et par le crĂąne du PithĂ©canthrope de Dubois, qui Ă©tait l’objet de controverses plus violentes encore. En fait, c’Ă©tait lĂ  les associations rĂ©elles de mon rĂȘve. Mais je n’osai pas parler de crĂąnes, de squelettes ou de cadavres Ă  Freud car l’expĂ©rience m’avait appris que ces thĂšmes lui Ă©taient dĂ©sagrĂ©ables. Il nourrissait l’idĂ©e singuliĂšre que j’escomptais sa mort prĂ©maturĂ©e. Il Ă©tait arrivĂ© Ă  cette conclusion Ă  la suite de l’intĂ©rĂȘt que j’avais montrĂ© pour les momies du Bleikeller de BrĂȘme, que nous visitĂąmes ensemble en 1909 en allant prendre le bateau pour l’AmĂ©rique. 

C’est ainsi que j’hĂ©sitai Ă  exprimer mes propres pensĂ©es, du fait qu’Ă  la suite d’une expĂ©rience rĂ©cente, j’Ă©tais demeurĂ© frappĂ© par le fossĂ© presque infranchissable sĂ©parant le point de vue et les bases de Freud des miens.

J’avais peur de perdre son amitiĂ© si je lui rĂ©vĂ©lais mon propre monde intĂ©rieur, qui, je le supposais, lui aurait paru trĂšs bizarre. N’Ă©tant pas absolument sĂ»r de ma psychologie, je lui dis presque automatiquement un mensonge concernant mes « libres associations Â» afin de n’avoir pas Ă  entreprendre la tĂąche impossible de lui faire comprendre ma constitution psychique trĂšs personnelle et totalement diffĂ©rente de la sienne.

Je dois prier le lecteur de m’excuser de m’ĂȘtre attardĂ© ainsi sur l’embarras oĂč je me suis trouvĂ© pour avoir parlĂ© Ă  Freud de mon rĂȘve. Mais c’est un bon exemple des difficultĂ©s auxquelles on se heurte dans l’analyse effective d’un rĂȘve, tellement comptent les diffĂ©rences existantes entre la personnalitĂ© de l’analyste et celle de l’analysĂ©.

Je me rendis compte bientĂŽt que Freud cherchait en moi quelque « dĂ©sir inavouable ». Et cela m’amena Ă  suggĂ©rer que les crĂąnes dont j’avais rĂȘvĂ© constituaient peut-ĂȘtre une rĂ©fĂ©rence Ă  certains membres de ma famille, dont pour une raison ou pour une autre, je dĂ©sirais la mort. Cette supposition eut toute son approbation, mais moi, je ne fus pas satisfait de cette solution truquĂ©e.

Pendant que je cherchais une rĂ©ponse convenable aux questions de Freud, je fus soudain troublĂ© par une intuition concernant le rĂŽle que le facteur subjectif joue dans la comprĂ©hension psychologique. Cette intuition Ă©tait si forte, que je n’eus plus qu’une idĂ©e, me sortir au plus vite de cette situation inextricable, ce que je fis par le moyen facile du mensonge. Ce n’Ă©tait pas Ă©lĂ©gant, et moralement indĂ©fendable, mais si je ne l’avais pas fait, je risquais une brouille dĂ©finitive avec Freud, et ne m’en sentais pas capable pour beaucoup de raisons.

Mon intuition Ă©tait la comprĂ©hension soudaine et inattendue que mon rĂȘve avait pour sens moi-mĂȘme, ma vie et mon univers, opposant ma rĂ©alitĂ© Ă  une structure thĂ©orique bĂątie par un esprit Ă©tranger au mien, pour des raisons et des buts qui lui Ă©taient propres. Ce n’Ă©tait pas le rĂȘve de Freud. C’Ă©tait le mien. Et dans un Ă©clair, je compris son message.

Ce conflit illustre un point essentiel de l’analyse des rĂȘves. C’est moins une technique que l’on peut apprendre et appliquer ensuite en suivant des rĂšgles qu’un Ă©change dialectique entre deux personnalitĂ©s. Si on traite cette analyse comme une technique mĂ©canique, la personnalitĂ© psychique du rĂȘveur dans son individualitĂ© n’a pas la possibilitĂ© de se manifester, et le problĂšme thĂ©rapeutique est rĂ©duit Ă  cette simple question : qui, de l’analyste ou du rĂȘveur, dominera l’autre ? J’ai renoncĂ© Ă  pratiquer l’hypnose pour cette raison prĂ©cise ; je ne voulais pas imposer ma propre volontĂ© Ă  autrui. Je dĂ©sirais que le processus de guĂ©rison naquit de la personnalitĂ© propre du malade, et non pas de suggestions faites par moi, dont l’effet eut Ă©tĂ© passager. Mon but Ă©tait de protĂ©ger et de maintenir intactes la dignitĂ© et la libertĂ© de mon malade, afin qu’il put façonner sa vie selon ses propres dĂ©sirs. Dans cet Ă©change avec Freud, il m’apparut pour la premiĂšre fois qu’avant de construire des thĂ©ories gĂ©nĂ©rales sur l’homme et sa psychĂ©, il nous fallait d’abord beaucoup mieux connaĂźtre les ĂȘtres humains rĂ©els auxquels nous avons affaire. 

L’individu est la seule rĂ©alitĂ©. Plus nous nous en Ă©cartons, plus nous lui substituons des idĂ©es abstraites sur l’Homo Sapiens, plus nous risquons de nous tromper. En ce siĂšcle de bouleversements sociaux et de changements rapides, il est dĂ©sirable d’en savoir beaucoup plus sur les ĂȘtres humains pris individuellement que nous ne le faisons, car beaucoup dĂ©pend des qualitĂ©s mentales et morales de chacun d’eux. Pourtant, si nous voulons voir les choses dans leur juste perspective, il nous faut comprendre le passĂ© de l’homme aussi bien que son prĂ©sent. C’est pourquoi la comprĂ©hension des mythes et des symboles est essentielle. _

Dans cet extrait de « L’homme et ses symboles » de Jung, l’auteur partage une expĂ©rience significative de sa relation avec Freud, mettant en lumiĂšre les nuances de l’analyse des rĂȘves et la nĂ©cessitĂ© de comprendre l’individu dans sa totalitĂ©.

Jung souligne l’importance de l’Ă©tude du symbolisme, conseillant Ă  ses Ă©lĂšves d’oublier tout ce qu’ils ont appris lors de l’analyse des rĂȘves, afin de ne pas imposer leurs propres associations et rĂ©actions. Il explique un rĂȘve qu’il a eu pendant sa collaboration avec Freud, oĂč il explore sa propre histoire personnelle Ă  travers des symboles de sa maison et de son Ă©volution intellectuelle. Cependant, il exprime sa rĂ©ticence Ă  partager pleinement ses pensĂ©es avec Freud, craignant de perdre son amitiĂ© en raison des diffĂ©rences dans leurs perspectives psychologiques.

Jung rĂ©alise finalement que le sens de son rĂȘve rĂ©side dans sa propre rĂ©alitĂ©, contrastant avec la perspective thĂ©orique de Freud. Cette expĂ©rience souligne l’importance de l’Ă©change dialectique entre l’analyste et le rĂȘveur, plutĂŽt que de considĂ©rer l’analyse des rĂȘves comme une technique mĂ©canique. Jung rejette Ă©galement l’hypnose pour Ă©viter d’imposer sa volontĂ© aux autres, prĂ©fĂ©rant permettre au processus de guĂ©rison de naĂźtre de la personnalitĂ© du consultant.

En conclusion, Jung souligne l’importance de comprendre les ĂȘtres humains individuellement plutĂŽt que de les traiter comme des abstractions, en insistant sur la nĂ©cessitĂ© de connaĂźtre le passĂ© de l’homme ainsi que son prĂ©sent, tout en mettant en avant l’importance des mythes et des symboles pour une comprĂ©hension approfondie de l’humanitĂ©.

â„č Sources :  Extrait du livre « L’homme et ses symboles Â» page 56, 57 et 58.

Date de publication originale : 1964. Auteurs : Carl Gustav Jung, AniĂ©la JaffĂ©, Joseph L. Henderson, Marie-Louise von Franz, Jolande Jacobi

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